Sapiens, une brève histoire de l’humanité
De Yuval Noah Hariri, 2014 (ed française 2015 chez Albin Michel)
Best seller publié dans le monde entier, traduit une trentaine de langues
Dans son livre Sapiens, une brève histoire de l’humanité, l’auteur, après rappel à grands traits de notre « brève histoire », s’interroge sur le bonheur, le sens de la vie et la responsabilité actuelle d’homo sapiens face à lui-même… L’auteur est « engagé » : on n’est pas obligé de souscrire à toutes ses analyses ; mais sa fresque historique, très bien documentée, donne tout de même quelque vertige…
Emergence d’Homo Sapiens
Tout commence pour le genre « Homo » il y a quelques 2 500 000 ans quelque part en Ethiopie : quittant la forêt, il s’engage dans la savane. Déjà il se tient debout, chasse, et après une longue et lente évolution apparaît « Homo Sapiens » et quasi en même temps l’ « Homme de Néandertal »…il n’ y a guère « que » 250 000 ans…
Ces deux dernières branches Homo, génétiquement très proches, étaient nomades. Originaires de l’Afrique de l’Est, elles franchirent il y a environ 100 000 ans la péninsule arabique. Parti le premier, l’Homme de « Néandertal » alla plutôt vers le nord et l’ouest de l’Eurasie (de l’Espagne jusqu’en Sibérie), puis ce fut Sapiens qui se dirigea plutôt vers l’Inde, puis Java, l’Insulinde et l’Australie, atteinte il y a 45 000 ans.
Ces deux familles humaines ont connu de brèves périodes de coexistence, notamment au Proche Orient, puis en Europe de l’Ouest, ce qui explique que nous ayons en nous des traces des Néandertaliens dans nos chromosomes : il semblerait en particulier que la couleur de la peau blanche des européens serait due précisément à un « attribut » néandertalien…
La disparition de l’homme de Néandertal (pourtant plus robuste, avec un crâne légèrement plus développé qu’ Homo Sapiens), serait liée au fait qu’il vivait en petites communautés de moins de 100 individus ; moins bien organisé qu’Homo Sapiens il lui était moins facile de chasser les grands animaux (mammouths) et à force de se disperser il se reproduisait avec de plus en plus de consanguinité, ce qui a pu avoir un effet direct sur la reproduction de l’espèce.
Homo Sapiens avait appris à vivre en communautés plus larges (plusieurs centaines de personnes), acquérant leur force de cohésion en se projetant dans des projets et des croyances partagées autorisant l’extension de la communauté à des groupes humains de plus en plus importants.
Homo Sapiens était de nature assez redoutable : en arrivant en Australie il a rapidement détruit toute la grande faune qui y vivait (marsupiaux géants, de la taille d’un hippopotame, sortes d’autruches géantes, etc..)
En allant vers le Caucase, puis vers l’Europe de l’ouest, il a retrouvé ses « cousins » néandertaliens, bien affaiblis. Il les a repoussés sans doute de plus en plus à l’ouest : on trouve les traces des derniers d’entre eux il y a 30 000 ans dans une caverne…au détroit de Gibraltar…Au même moment Sapiens peint la Grotte de Chauvet, « chapelle Sixtine » de la préhistoire.
Homo Sapiens, enfin seul… !
Désormais seul maître à bord du vaisseau Terre, Sapiens se retrouve « seul face à Sapiens » ! *
Commence alors une longue histoire de « l’humanité » : après une assez longue gestation entre 30 000 et 10 000 ans encore bien mystérieuse (après Chauvet, Lascaux, Pech-Merle, dans le sud de la France et en Espagne, c’est (au Moyen Orient) le passage de la vie de chasse et de cueillette, à la révolution agricole dans le Croissant Fertile .
La transition s’est effectuée progressivement : il y a eu un temps de coexistence de chasse et cueillette et d’une première activité agricole. Mais peu à peu la chasse est devenue de plus en plus difficile : de moins en moins d’animaux sauvages, Homo Sapiens ne laissant quasiment survivre que les animaux qu’il a appris progressivement à domestiquer (le chien, puis le mouton, les chèvres, les bovins, et enfin chevaux, chameaux et dromadaires…)
Puis apparition des premières villes (Jericho) il y a 10 000 ans. Lhistoire s’accélère ensuite: premiers empires, grandes liaisons commerciales : la mondialisation ne date pas d’aujourd’hui !! Il y a 4000 ans on échangeait déjà entre l’Irlande et la Méditerranée ; entre la Méditerranée et l’Inde, puis la Chine, etc…
Il y a 10 000 ans également, formalisation (et fixation par l’écriture) des grands mythes de l’humanité (Homère, récits de la création, développement des divinités liées aux activités agricoles : le Ciel devient « ce qui va permettre la survie … ou conduire à la disette ou à la mort s’il ne pleut pas » ! Puis émergence des monothéismes du Moyen Orient et des sagesses : grecque (Socrate, Platon), indienne (Bouddha) et chinoise (Confucius, Lao Tseu) il y a 2000 à 2500 ans. Durant cette période (il y a de 8000 à 1500 ans) apparaissent les grandes « civilisations » de l’Indus, d’Egypte, de Chine et en Méditerranée (Crête, Grèce puis Rome).
Effondrements et renaissances
Mais Homo Sapiens ne parvient pas à faire durer ces civilisations qui s’écroulent les unes après les autres…Déclin économique par appauvrissement des sols, suite à de lourdes déforestations, extensions d’empires telles qu’ils sont devenus ingérables, poussées des peuples périphériques (les « barbares »), etc…,
Toutefois (entre 500 et 1500 de notre ère), une forme de résurrection lente se fera grâce au patient et impressionnant travail des moines dans toute l’Europe ; en orient, ce sont les arabes qui reprendront les acquis de la « civilisation » par leur extraordinaire intégration des savoirs et des sciences, de Bagdad à Cordoue.
Arrive le temps de la véritable « Renaissance », avec les grandes découvertes : toutes les cartes du commerce et de l’économie sont rebattues : effondrement de la route de la soie et du commerce arabe entre l’inde et la méditerranée (les épices), etc… lancement des grandes compagnies commerciales (Pays-Bas, Angleterre, France) : les finances font de plus en plus la loi
Homo sapiens se lance alors dans la conquête intégrale du monde : recensement des peuples et des espèces, prise de possession de tous les territoires, cartographie intégrale et partage de la Planète entre « Grandes Puissances » ; asservissement de la Chine, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Australie par les européens. Rares sont les nations qui échappent à cette prédation : le Japon, et, curieusement, le pays où tout a commencé...l’Ethiopie.. !
Le capitalisme triomphe ; il remporte même le grand combat contre le pouvoir soviétique ; désormais, plus rien n’arrête les logiques financières : le monde est gouverné par l’appétit de l’argent facile…qui a toujours dirigé le monde depuis les débuts des activités commerciales : ceux qui ont le pouvoir font travailler ceux qui ne l’ont pas…c’est aussi simple que cela.
Pourtant, le génie de l’homme va permettre de rendre en même temps la vie plus facile, de multiplier les rendements, d’accroître sa capacité à user et abuser de la terre et des hommes : la terre s’épuise, les écarts entre puissants et les populations se creusent ; les réserves disponibles sur la Planète sont de plus en plus rares et chères ; la terre et les océans se couvrent des déchets de notre « civilisation »…
Toutes ces étapes de l’histoire de l’humanité sont très bien analysées, en profondeur par Harari, avec un focus particulier sur les grandes lignes commerciales et sur la relation entre Homo sapiens et les animaux : il a notamment enquêté sur le traitement des animaux domestiqués par l’homme (porc, poules, etc..), et horrifié par les pratiques humaines, il est devenu végane : à plusieurs reprises, dans cette grande histoire, il évoque le martyre silencieux des animaux dominés et exploités par Homo Sapiens…
Dans les derniers chapitres de son ouvrage, il s’interroge sur « la recherche du bonheur », sur « le sens de la vie » et « la fin d’Homo Sapiens » : ce sont ces trois derniers chapitres que l’on va analyser de plus près ici.
A la recherche du bonheur
Longtemps, le « bonheur » s’éprouvait en famille, famille élargie, communauté locale ; puis des communautés « imaginaires » (religions, entreprises (esprit d’entreprise), nations...).
Au final, contrairement à ce que l’on pourrait croire, on constate qu’il y a de moins en moins de guerres et de plus en plus de paix. Les Etats apporte une « paix » (relative) certaine. Ces 5 derniers siècles ont connu bien des bouleversements ; mais aujourd’hui la somme des morts par suicide est équivalente à la somme des morts par violence (guerres et crimes)… Mais sommes-nous plus heureux pour autant ?
Il semblerait que chaque innovation nouvelle nous éloigne un peu plus du « jardin d’Eden… ». Nous nous « gavons » d’opportunités nouvelles ; nous sommes face à de multiples « hyperchoix » d’activités, de loisirs, etc… ; mais qu’est-ce que nous goûtons réellement…puisque le plus souvent, nous sommes « ailleurs » ?
Il nous semble que nous sommes (en 2014) dans un âge d’or…mais seulement depuis une cinquantaine d’années : attention à ne pas conclure : peut-être avons-nous semé les graines des catastrophes à venir :
- Pollution écologique et dérèglement climatique
- Effondrement de la vie animale et de la biodiversité
- Cruauté vis-à-vis des animaux qui n’a pas de précédent…
En fait, qu’est-ce qui nous rend heureux ?
- L’argent, jusqu’à un certain point,
- La santé
- La famille/communauté, quand il y a solidarité et entraide
- Le couple (s’il est bien assorti)
- Les lois sociales garantissant logement, éducation, santé, sécurité... (l’Etat-« Nounou »)
Mais surtout le « bonheur » relève de la biochimie : nous avons des attentes/exigences, et selon nos attentes et le niveau de nos exigences, positionnées en chacun de nous de façon différente : si nous ne sommes pas trop exigeants, nous sommes facilement heureux… : sur une échelle de 1 à 10, certains sont « calés à 5 », d’autres à « 8 » pour atteindre le bonheur…
A quoi servent toutes les révolutions politiques, économiques, techniques, culturelles…), si nous ne sommes pas « plus heureux »… ?
Le bonheur, ce n’est pas quand la somme des plaisirs et supérieure à la somme des contraintes : c’est voir la vie dans sa globalité, une vie qui a « du sens » et qui vaut la peine d’être vécue…
Le sens de la vie
Celui qui a une « raison de vivre » peut endurer presque n’importe quelle épreuve (Nietsche)
Le bonheur est donc lié à la raison de vivre que l’on se donne, et chaque époque a « sa raison de vivre » : au Moyen-âge, c’était d’atteindre le paradis.. ; puis ce fut le progrès de la science, puis le nationalisme.., en fait, est-ce que ce ne sont pas à chaque fois des illusions collectives qui nous arrangent ? Et, en fin de compte : ne faut-il pas s’illusionner pour être heureux ?
L’approche du Bouddha : Il existe des sentiments plaisants et déplaisants. On n’y peut rien. Il faut juste prendre du recul et observer le va-et-vient de la vie, comme le sac et le ressac des vagues…et vivre l’instant…
En fait, il nous manque gravement une compréhension du « bonheur » dans l’histoire des hommes, c’est une de nos plus graves lacunes…
La « fin » d’Homo Sapiens ?
Jusqu’à présent, Homo Sapiens, ne s’est jamais vraiment libéré des limites fixées par la biologie. Ce n’est plus vrai au 21ème siècle.
Depuis toujours, le vivant a évolué, non pas par une intelligence extérieure, mais par la nécessité de vivre et survivre…Depuis 10 000 ans, toutefois Homo Sapiens a commencé une sélection naturelle chez les animaux. Pour avoir un poulailler, il fallait sélectionner petit à petit des volatiles qui soient lents et gras… (idem pour tous les autres animaux domestiques). Pour y parvenir, l’homme n’a fait qu’accélérer et orienter des processus naturels. Mais depuis le début de ce nouveau siècle, Homo Sapiens est en train d’opérer une grande révolution qui d’une certaine manière va mettre fin de facto à Homo Sapiens, et cela de trois manières différentes
1. La fin d’Homo Sapiens par le génie biologique
On sait produire des lapins fluorescents, en insérant un génome spécifique de méduse chez un lapin ! C’est là le début d’une révolution biologique. On sait aussi désormais :
- Changer de sexe ;
- Fabriquer du cartilage d’une oreille entière en implantant des cellules de cartilage chez une souris ;
- Transformer des bactéries naturelles pour produire du biocarburant, fabriquer de l’insuline, etc.. :
- Introduire des gènes de poisson dans une pomme de terre pour améliorer sa résistance au gel :
- Introduire une bactérie pour permettre aux vaches de ne pas être atteinte de la maladie du « pis de la vache » :
- Créer une lignée de porcs sans acides gras ;
- Et on travaille sur les souris pour les rendre monogames en leur introduisant le gène de la « préférence monogamique »… etc… etc…
Mais on va pouvoir aussi :
- Ressusciter des mammouths, des dinosaures..
- Recréer l’homme de Néanderthal
- Nous orienter vers la production de surhommes... ; car la science ne cesse d’être ambigüe : si on sait trouver un génome qui guérirait de la maladie d’Alzheimer, alors on devrait savoir accroître la capacité mémoire des Homo Sapiens..etc… : ce serait une première façon de mettre fin à Sapiens, tel qu’on l’avait toujours connu !
2. Par la « bionique » (que Harari appelle le génie « Cyborg »). Il s’agit de croiser des éléments vivants avec des éléments inorganiques :
- Déjà, les armées savent implanter des puces ou « mouchards » chez des mouches ou des cafards ;
- L’US Navy utilisent de la même manière des requins pour le repérage des sous-marins ;
- En Allemagne, on réalise des prothèses rétiniennes et des écouteurs directement branchés sur le nerf auditif ;
- Aux USA et au Japon, on fait des essais pour permettre d’actionner des bras mécaniques par la seule force de la pensée ;
- Et l’on travaille sur la connexion d’un réseau de cerveaux... où va-t-on
3. Création d’ « êtres inorganiques » : les « machines humaines ».
- On connaît déjà les « virus informatiques ». Et que fait-on en cas de « mutation » de ce type de virus ?
- Il existe un programme Human Brain Project » lancé en 2005, par lequel on espère pouvoir recréer un cerveau humain complet dans un ordinateur. Objectif : réaliser en 10 ou 20 ans (2025, c’est demain !!) un « cerveau humain artificiel » capable de parler et de se conduire « largement » comme un homme !
La rapidité de ces évolutions nous amène à reconsidérer bien des questions fondamentales sur l’identité, l’égalité, le fair-play dans les sports, les fonds de pension, le marché du travail, etc.. ;
L’ère de la médecine ajustée par traitement de l’ADN a commencé, avec de nombreux casse-têtes éthiques :
- Quelle médecine pour tous ?
- Faut-il envoyer son ADN ou son CV à son futur employeur ?
- Vers une prise de pouvoir accru des classes aisées en matière de santé, d’éducation, d’intelligence…
Où est passé le sens ?
Avant le Big Bang, personne ne se pose la question du sens… : c’est la singularité du Big Bang. Aujourd’hui apparaît une nouvelle singularité : on se dirige tout droit vers la fin d’Homo Sapiens : tout ce qui va advenir n’aura bientôt plus de sens pour nous ;
- Ne serions-nous pas la dernière génération des Homo Sapiens ?
- Gilgamesh est parti à la recherche de l’immortalité ; il ne l’a pas trouvée…
- Mais Frankenstein n’est-il pas en ce moment sur les épaules de Gilgamesh ?
Epilogue
Depuis 30 000 ans Homo Sapiens règne en maître sur la planète et sème la terreur dans l’écosystème Il a construit beaucoup de choses, des villes, des empires, des réseaux commerciaux…Mais a-t-il fait régresser la souffrance ? et que dire de la misère des animaux ?
Sommes-nous plus heureux ?
Au final, nous ne savons plus où aller : nous sommes en définitive à la fois plus puissants et plus irresponsables que jamais… et nous n’avons de compte à rendre à personne !
Y a-t-il rien de plus dangereux que des dieux insatisfaits et irresponsables, et qui ne savent pas ce qu’ils veulent ?
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Suite à cet ouvrage, qui fut refusé par nombre d’éditeurs, puis finalement édité et devenu un succès mondial, l’auteur a écrit une « suite » : Homo deus : une brève histoire du futur (2016 en anglais ; 2017 en version française, puis tout récemment : 21 leçons pour le 21ème siècle…
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Commentaire d’Obama à la lecture du premier livre :
J’ai beaucoup aimé cette histoire de l’humanité « vue du ciel » !
A suivre donc…
Antoine Héron, 12 avril 2020 à Pâques confinées !