Homo Deus, une brève histoire du futur

De Yuval Noah Hariri, 2015 (ed française 2017 chez Albin Michel)

Ce livre constitue en quelque sorte un prolongement du précédent essai, Sapiens : Une brève histoire de l’humanitéHarari, en examinant les grands mouvements de l’évolution de l’humanité depuis la préhistoire, et fort des dernières découvertes de la biologie, de la technologie informatique et des sciences sociales, nous interroge sur l’avenir de l’homme.

Le projet de l’auteur n’est pas de spéculer sur l’avenir mais d’identifier ce que pourraient produire à terme les logiques sociétales à l’œuvre aujourd’hui si des humains ne se mobilisent pas pour les freiner. Toutes les prédictions qui parsèment ce livre ne sont rien de plus qu’une tentative pour aborder les dilemmes d’aujourd’hui et une invitation à changer le cours de l’avenir.


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Introduction : Le nouvel ordre du jour humain.

Dans une longue introduction l’auteur se pose la question de savoir quelles vont être les priorités de l’humanité au début de ce 3e millénaire.

Pendant des milliers d’années, l’humanité a été aux prises avec trois grands fléaux : la faim, les épidémies et les guerres.

Pour ce qui est de la faim, le paradoxe actuel, est qu’en 2014,  on compte deux à trois fois plus de personnes en surpoids dans le monde (2,1 milliards) que de personnes souffrant de malnutrition (850 millions).

Les épidémies ont régulièrement fait des ravages : on se souvient de la grande peste noire (partie d’Asie !) tuant entre en Europe 75 et 200 millions de gens (40% de la population anglaise ; 50% de celle de Florence…); mais il y eut pire : on estime que les amérindiens en un siècle ont perdu, avec l’arrivée des européens, 90% de leur population en attrapant la variole, la grippe, la rougeole, et la pandémie de la « grippe espagnole » tua en 1919 à travers le monde entre 50 et 100 millions de gens. Toutefois, on peut constater, que même si nous subissons des attaques nouvelles de nouveaux virus, (Sras, Ebola…), nous sommes en mesure de réagir beaucoup plus rapidement et de contenir le fléau. (l’auteur écrit en 2015 : le Coronavirus n’était pas encore arrivé..).

Enfin, et contrairement au sentiment que l’on peut avoir en écoutant les nouvelles quotidiennes, les guerres « disparaissent », ou du moins les victimes sont moins nombreuses qu’autrefois. La tendance générale est de régler les conflits d’une autre manière que par des massacres réciproques.

Ainsi les trois grands fléaux millénaires sont en train de disparaître, non pas totalement ; mais leurs conséquences sont nettement moins graves qu’auparavant, et ils semblent à terme, surmontables. Ceci ne veut pas dire qu’il faille baisser la garde : la nature a horreur du vide, et d’autres fléaux peuvent surgir à tout moment, le grand danger serait de nous endormir et de se laisser prendre au dépourvu.

L’histoire nous apprend le caractère imprévisible à long terme des aspirations humaines. Mais il est probable que les grands projets de l’humanité au XXI ème siècle soient :

  • D’atteindre l’immortalité : pour nombre de scientifiques, la mort est un « problème technique » sur lequel il est bon de se pencher…pour retarder aussi loin que possible les échéances : Google a lancé en 2012 une filiale, Calico, dont la mission déclarée est de « résoudre le problème de la mort », et Google Ventures investit 36% de ses 2 milliards de dollars en portefeuille dans des start-up spécialisées dans les sciences de la vie, dont plusieurs sont consacrées à la prolongation de la vie. Certains pensent « résoudre le problème » d’ici à 2050 ; d’autres vers 2200…Peter Thiel, le cofondateur de PayPal emboite le pas : il faut combattre la mort…et il espère bien profiter personnellement des résultats de ces travaux !

Pour les scientifiques et les capitalistes, cette approche est du pain béni : des programmes de recherche richement dotés, et in fine, de nouveaux marchés en perspective… Cela va poser d’autres problèmes sur la durée du travail, l’âge de la retraite, sur une humanité à deux vitesses : il y aura ceux qui pourront se payer ces nouveaux développements et ceux qui ne le pourront pas. 

Sans doute Google n’atteindra pas son but aussi rapidement qu’il le souhaite ; mais à force de biologie cellulaire, de médicaments génétiques, ils vont être capables d’avancées significatives et à terme se rapprocher de plus en plus de ce qu’ils recherchent

  • De trouver la clé du bonheur. En 1776 les Pères fondateurs des Etats-Unis firent de la poursuite du bonheur un des trois droits inaliénables de l’homme (avec le droit à la vie et le droit à la liberté). L’objectif est loin d’être atteint quand on sait que l’on compte par exemple en Corée du Sud 36 suicides par an pour 100 000 habitants… (contre 12 en Europe et 5 au Maghreb)! Au fait qu’est-ce que le bonheur ? On ne l’atteint sûrement pas par l’accumulation déraisonné de biens : l’argent fait le bonheur… jusqu’à un certain point ; au-delà, rien n’est sûr !

Pour nombre de biologistes, le bonheur n’est que le résultat d’un processus biochimique qui provoque félicité, tranquillité, excitation, exaltation, …et ceci peut être fourni par des substances qui provoquent ces sensations. Déjà face à un problème d’attention, d’hyperactivité, on n’hésite pas à donner à quelques millions d’enfants des stimulants chimiques aux Etats-Unis et en Grande Bretagne ; dans les armées, on multiplie l’usage des antidépresseurs pour vaincre les peurs et les traumatismes de la guerre. Tout ceci est sans doute à réguler ; mais les laboratoires recherchent la manière de stimuler au mieux la biochimie humaine et la manipulation génétique pour favoriser la sensation du bonheur. Même si l’objectif de jouir d’un plaisir éternel semble hors de portée, toujours est-il que c’est la direction qui va progressivement être prise.

  • Hisser enfin l’homme au rang de « dieu » (car capable d’agir sur la création et de la détruire…). Immortalité et béatitude sont précisément deux attributs jusqu’à présent réservés à Dieu ; pour en jouir pleinement, il reste à l’homme de développer au maximum son corps et son esprit, bien au-delà de ce qu’Homo Sapiens a acquis et développé au cours de son histoire. On a vu (Homo Sapiens, brève histoire de l’humanité) qu’il y a trois manières d’agir pour « augmenter » ce que nous sommes : le génie biologique (en réécrivant par exemple notre code génétique), par la « bionique » (en croisant des éléments vivants avec des éléments inorganiques : une main artificielle « branchée » sur nos nerfs et que l’on peut commander), ou le « génie augmenté » des machines créées par l’homme (ces machines capables d’être plus intelligentes et plus rapides que nous, et qui ne cesseront pas d’apprendre)…

Nous ne savons pas où tout cela peut nous conduire, mais inéluctablement, si rien ne vient freiner le mouvement, des perspectives sont dans la « logique des choses ». Nous nous dirigeons vers l’inconnu « à grande vitesse » …et il semble impossible de freiner le mouvement, car où sont les freins ? Tous les domaines ouverts à la sciences s’interpénètrent mutuellement ; nous sommes toujours dans une société économique qui a un besoin vital de la croissance comme un humain a besoin vital d’oxygène, le champ ouvert aux manipulations génétiques (d’abord pour soigner les maladies, puis pour « augmenter » les personnes) est immense…

Concernant l’usage de ces nouvelles technologies, nous allons vers l’Inconnu ; mais mieux vaut comprendre ce qui se passe, et décider de ce qu’il faut faire, avant qu’elles ne le fassent pour nous…

Après cette longue et dense introduction, l’auteur revient dans un premier chapitre sur « ce qui s’est passé » (Homo Sapiens conquiert le monde), puis développe ce qui se passe sous nos yeux « Homo Sapiens donne sens au monde) dans un 2ème chapitre, et le futur qui s’entrouvre si rien ne vient « freiner la machine » (Homo Sapiens perd le contrôle) : 3ème chapitre.

Il conclut sur une nécessaire et profonde résilience, et la nécessité pour chacun de se réinventer, et termine par une série d’interrogations…qui seront reprises dans son troisième ouvrage : 21 leçons pour le 21 ème siècle ( qui sera publiée en 2018).

Partie 1 : Homo Sapiens conquiert le monde

  • Chapitre 2 : L’Anthropocène

Au cours de l’anthropocène, l’homme, grâce à son intelligence a asservi avec une grande violence le monde animal : « par rapport aux autres animaux, il y a longtemps que les humains sont devenus des dieux »…mais des dieux « pas particulièrement miséricordieux » : domestication de la plupart des grandes espèces « utiles » et extinction de la plupart des autres. Cette violence envers les animaux se retrouve dans les relations humaines, quand les hommes de pouvoir traitent notamment la « main-d’œuvre » quasiment comme du bétail (servitude, esclavage, marché du travail au meilleur prix, etc..).

L’auteur pose la question de savoir si des ordinateurs dépassant les hommes en intelligence et en puissance pourraient traiter demain les hommes de la même façon que les hommes traitent les animaux aujourd’hui.

  • Chapitre 3 : L’étincelle humaine.

Avec l’anthropocène, les sapiens sont devenus les seuls maîtres du monde. Ils se sont libérés de Dieu depuis la révolution scientifique et industrielle. Si les rendements agricoles sont bons, ce n’est pas parce que de la pluie est tombée du ciel, mais que les engrais étaient bons et les semences adéquates ; si les maladies disparaissent ce n’est pas par quelque miracle venu du Ciel, mais parce que l’on a trouvé les bons antibiotiques, etc… et tout cela a pu être réalisé parce que Homo Sapiens a su proposer un sens à l’activité humaine et rassembler des foules autour de grandes idées humanistes. Les humains ont créé des entités intersubjectives, comme les dieux, les nations, les entreprises; ce sont des « fictions » qui dominent les hommes et le monde.

Partie 2 : Homo Sapiens donne sens au monde

  • Chapitre 4 : Les conteurs. 

Les fictions permettent aux hommes de coopérer entre eux. Il faut prendre le terme « fiction » dans un sens très large : une entreprise comme « Google », une « nation » par exemple sont des entités imaginaires, des « fictions » : Il peut paraître étrange que des entités imaginaires puissent se voir attribuer des réalisations concrètes et très puissantes. Mais cela ne choque personne que l’on dise que les « Etats-Unis » ont « produit » la première bombe nucléaire.  

Ces fictions sont apparues avec l’écriture, les Ecritures, le développement des administrations, etc… En 1958 le gouvernement chinois a été trompé par des statistiques fausses qui lui annonçaient d’excellentes récoltes. Il a vendu l’excédent pour acheter armes et machines ; mais au moment de la récolte, le compte n’y était pas, et c’est ce qui a conduit à la grande famine chinoise, avec plusieurs dizaines de millions de morts.

Il faut se méfier des comptes et des « contes ». La monnaie est aussi une fiction. Le tout est d’y croire. Certaines fictions sont vitales. Sans récit commun accepté par tous, comme la monnaie, les sociétés, les états, aucune société humaine complexe ne saurait fonctionner. Nous les avons inventées pour nous servir. Le risque étant que les fictions devenant de plus en plus puissantes, avec les biotechnologies et les algorithmes informatiques, elles finissent par se retourner contre nous : d’où la nécessité d’une très grande vigilance.

  • Chapitre 5 : Le couple dépareillé : religion et science

Des contes particulièrement puissants, de l’Egypte ancienne à la Chine médiévale, ont permis des œuvres considérables comme les Pyramides, la Grande Muraille de Chine, les cathédrales, etc… mais la foi (aveugle) a engendré des efforts humains pour la gloire de certains, mais cela a eu peu d’impact sur l’amélioration du sort des peuples. Les religions sont des fictions qui ont permis d’assurer le pouvoir sur les hommes en transformant des jugements éthiques en énoncés factuels, obscurcissant la connaissance.

La science a peu à peu mis en cause les dogmes des religions ; les religions ont cru pouvoir résister ; mais elles ont du céder et composer avec la science.

En se libérant de ces « fictions » sensées venir d’en-haut, en pensant par eux-mêmes, les homo sapiens se sont libérés en deux siècles et demi des grands fléaux qui s’abattaient régulièrement sur lui : les épidémies, la famine et les guerres, et ceci, grâce à la révolution industrielle, la promotion de la démocratie et de la laïcité.

  • Chapitre 6. L’alliance moderne. 

Le nouveau « Dieu », durant cette période, est l’Humanisme : le droit pour chacun de faire selon ce qu’il considère en toutes choses comme « bon pour lui » sans déranger les autres…

Ceci dit, il n’est pas certain que les peuples soient devenus plus heureux pour autant ; non seulement les conflits sociaux demeurent, les inégalités vont en croissant et l’avenir est lourd de bien des menaces…et l’on ne connaît qu’un seul remède : « la Croissance  indéfinie » de l’emprise des hommes sur notre malheureuse planète…

  • Chapitre 7 : La Révolution humaniste.

Dans la période médiévale, la grande formule du savoir, c’était : Savoir = Les Ecritures x Logique ; puis la révolution scientifique a revu la formule : le Savoir = Les données empiriques x mathématiques : de là viennent notre connaissance du système solaire (jusqu’ici prisonnier des textes sacrés) ; de là nos avancées en astronomie, en médecine (le cœur n’est qu’une pompe..), et autres disciplines. L’Humanisme a proposé une autre formule : Savoir = Expériences x Sensibilité, ce qui permet de résoudre les problèmes éthiques, de trancher sur ce qu’il faut faire et ne pas faire…

Illustration de l’évolution humaniste dans l’art de peindre la guerre : du temps de Louis XIV, les tableaux de batailles, montraient le roi au-dessus des troupes commandant les forces, et au loin, les différents régiments en présence, comme des pions sur un échiquier. Au 20ème siècle, les peintres de la guerre de 14 montrent les combats dans les tranchées dans ce qu’elles ont de plus violent ; ou bien c’est le visage d’un soldat allemand à Stalingrad ou d’un  GI américain au Vietnam, traumatisé par ce qu’il voit…

Comme les religions, l’humanisme, a connu ses grands schismes. Il s’est scindé en trois grandes branches ː l’humanisme libéral (ou libéralisme, allant jusqu’à prendre les formes les plus radicales, notamment aux Etats-Unis), l’humanisme socialiste (dans sa forme la plus marquante : le communisme de Lénine) et l’humanisme évolutionniste (dans sa forme la plus brutale : le nazisme). Et en ce début du 21ème siècle, c’est la forme libérale qui l’a emporté, non sans avoir emprunté à l’humanisme socialiste quelques éléments de son programme (en terme de minimum de protection sociale) … tout en cherchant à s’en « libérer », par une pression permanente, pour se dégager de ces règles qui « freinent les affaires » et donc la « liberté d’entreprendre…

A l’époque médiévale, les religions étaient créatives ; les monastères étaient à la pointe des avancées techniques et agricoles. Désormais, les religions sont toujours présentes, mais elles ne sont plus créatives ; elles sont sur la défensive ; les Ecritures n’ont rien à dire sur le génie génétique ni sur l’intelligence artificielle.

Fort de ses succès, et avec le nouveau levier que constitue les révolutions de la génétique et du numérique, l’humanisme libéral ne peut que vouloir aller plus loin, en maximisant la durée de vie, le bonheur et le pouvoir des êtres humains.

Partie 3. Homo Sapiens perd le contrôle

  • Chapitre 8. La bombe à retardement au laboratoire.

Les neurosciences du xxie siècle indiquent que les décisions humaines, le libre-arbitre, sont le résultat de processus électro-chimiques du cerveau. Les chercheurs arrivent à la conclusion qu’il n’y a pas d’individus libres : ils ne sont que le jouet des influences qu’ils reçoivent. La manipulation des esprits est partout à l’œuvre.

Quel est le sens de la vie ? Pour le libéralisme, il ne faut rien attendre d’une entité extérieure qui nous donnerait un sens tout prêt : c’est à nous (électeurs, acheteurs, consommateurs..) d’user de notre libre-arbitre pour créer du sens .

La biologie nous dit que les individus libres ne sont que « fictions », car en réalité, il sont le jouet de mécanismes biochimiques . Certes l’individu « se raconte une histoire » par laquelle il se sent libre ; mais cette histoire elle-même est une fiction.

Les êtres humains ne sont pas à une contradiction près : ils sont souvent dans la « dissonance cognitive », s’autorisant à croire une chose au laboratoire, une autre chose devant la justice, et autre chose encore en tant qu’électeur. Plus concrètement, nous sommes et serons de plus en  plus prisonniers des technologies nouvelles qui vont être mises à notre disposition… tout simplement…

  • Chapitre 9 : Le grand découplage.

Dans le même temps, on s’aperçoit que les avancées biologiques, génétiques et dans le domaine du numérique sont en train de surpasser Homo Sapiens. On l’a vu avec les joueurs d’échec battus par l’ordinateur Big Blue ; mais c’est l’intelligence artificielle qui est désormais la grande menace pour la plupart des métiers que nous connaissons aujourd’hui. Si les voitures sont autonomes, il n’y aura plus besoin de chauffeurs de taxis ; de même les employés d’assurance, de banques, d’agences de voyages vont disparaître ; dans les usines les robots et les imprimantes 3D vont prendre la place des ouvriers ; de même les négociateurs en bourse seront remplacés par des robots ; de même pour les médecins, car les machines peuvent se mettre à jour en permanence des dernières technologies, des derniers traitements médicaux. Il en est de même pour les pharmaciens.

Les seuls métiers qui vont rester sont ceux où le remplacement de l’homme par une machine n’est pas rentable. Se pose alors la question de l’avenir de ces humains devenus inutiles, face à une élite aux pouvoirs améliorés…d’autant plus que les systèmes artificiels vont devenir plus « puissants que nous, sachant mieux « ce que nous sommes, ce que nous ressentons, ce que nous voulons… »

Chapitre 10 : L’océan de la conscience.

Aux anciennes religions ont succédé les nouvelles « techno-religions » : comme toutes les religions, elles promettent la vie éternelle, le bonheur et la paix, mais ici bas…et pour bientôt ! On peut distinguer dans ces nouvelles « religions » deux catégories : le techno-humanisme, et la religion des données numériques (les « data »).

Pour le techno-humaniste, l’humain reste le sommet de la création. Certes, Homo sapiens a vécu, mais nous pouvons accéder à un type d’Homo supérieur (Homo Deus), conservant les traits humains essentiels, mais jouissant de capacités physiques et mentales « augmentées » qui lui permettront  de se défendre contre les formes d’intelligences des nouvelles machines qui nous surpassent en traitement de données.

Entre le chasseur-cueilleur d’autrefois et l’Homo Sapiens actuel, nous ne différons que de quelques gènes; quelques petites manipulations génétiques vont nous permettre d’accéder à un niveau supérieur à l’Homo sapiens actuel. L’esprit humain va donc être augmenté…Mais pour aller où ?

Actuellement, rien que dans le domaine des vibrations magnétiques, nous ne percevons qu’une minuscule partie du spectre des possibles. Sur le plan « culturel, nous nous sommes considérablement appauvris ces derniers siècles en détruisant nombre de cultures premières, qui avaient chacune leur culture mentale spécifique. Aujourd’hui, nous convergeons vers une seule culture, celle des occidentaux riches, formés et démocratiques ; mais il pourrait y avoir bien d’autres options. La science des états mentaux « augmentés » relève de ce que l’on appelle aujourd’hui la « psychologie positive », dont le but n’est pas de soigner des malades, mais d’augmenter nos capacités mentales. Par rapport à nos origines, nous avons beaucoup perdu sur le plan olfactif, en acuité visuelle, en intuition sur ce nous dit la nature qui nous entoure, et même en capacité de rêver et d’en tirer parti…etc…pour laisser la place à la lecture, au calcul, au raisonnement abstrait.

Finalement, en augmentant nos capacités mentales et physiques, nous risquons en contrepartie une réduction de nos capacités en « esprit humain ».  Finalement, que nous voulons-nous faire ? Nous le saurons de moins en moins ; mais le« système global », lui, peut savoir ce qu’il veut faire de nous : le « progrès technique » , fiction en devenir, « ne veut pas écouter nos voix intérieures : il veut juste les contrôler ».

  • Chapitre 11 : La religion des data.

Il existe une autre techno-religion. C’est celle des Données Numériques (Data), qui tend à couper le cordon ombilical humaniste. Il s’agit d’un monde qui ne cherche pas à répondre aux désirs et à la volonté de l’espèce humaine. Un nouveau Dieu est en train de naître, c’est celui de l’information numérique, des Données toutes puissantes, les « DATA » qui engendrent le « dataïsme ».

L’univers n’est qu’un « flux de données », et tout sens est à chercher dans le « traitement des données ». Ceci résulte à la fois de la théorie de l’évolution de Darwin (les sciences de la vie en sont arrivées à ne voir les organismes que comme le produit d’algorithmes biologiques, et les mathématiciens ont conçu des machines à produire des algorithmes électroniques de plus en plus sophistiqués : on sait maintenant composer des symphonies numériques : musicologues, économistes et spécialistes de biologie cellulaires disposent désormais d’un « langage commun ».

Les « dataïstes » pensent que les hommes ne peuvent plus désormais suivre le développement de toutes les données. Le traitement des données doit donc être confié à des « algorithmes électroniques » désormais plus puissants que notre cerveau humain : ils se fient davantage aux « Big Data ».

Sont considérés comme des systèmes de traitement de données non seulement des organismes individuels, mais aussi des sociétés entières, des forêts, des ruches, des colonies de bactéries, etc…mais ce peut être aussi l’économie d’un pays. Grâce aux données numériques traitées de partout à travers le monde, le marché boursier est capable de calculer en moins de 15 minutes l’impact, sur la plupart des actions,  d’un titre qui sort tout à coup du New York Times.

Le capitalisme a triomphé du communisme, non pas parce qu’il était plus moral, ou que les libertés individuelles sont sacrées, mais parce que le communisme avait mis en place un système de données centralisé, alors qu’avec le capitalisme, les données sont distribuées, décentralisées.

La parabole du boulanger : On raconte que Gorbatchev envoya à Londres un économiste pour mieux comprendre comment fonctionnait l’économie occidentale. Il fut reçu à la City de Londres, et à la Business School of Economics ; mais il interrompit les exposés et posa la question suivante : « chez nous, nos meilleurs spécialistes travaillent dur pour voir comment supprimer les queues interminables chez les boulangers. Or, depuis que je suis à Londres, je n’ai jamais vu de queue pour le pain. Conduisez-moi auprès de la personne en charge de ravitailler Londres en pain !  je dois connaître son secret ! ». On lui répondit : « Notre secret, c’est que personne n’est en charge de ravitailler Londres en pain ! ».

Les données sont également essentielles pour les politiques, qu’il s’agisse de dictatures ou de démocraties. Mais les données numériques changent si vite, que les politiques ont désormais du mal à suivre… Internet n’a fait l’objet d’aucune décision politique, et pourtant Internet est là, avec toute sa puissance…et les gouvernements se révèlent impuissants à contrôler les réseaux : La « data » les submergent : « la tortue gouvernementale n’arrive pas à suivre le lièvre technologique ». La CIA est submergée de données, mais ne sait plus quoi en faire…

Ne sachant plus bien « où l’on va, », les politiques n’ont plus de vision : ils gèrent à court terme, n’ayant pas la moindre idée de ce que sera leur pays dans 20 ans…

Certains en déduisent que ceux qui dirigent le monde sont en fait « une petite coterie de milliardaires » ; mais en fait, le système est trop complexe pour qu’une poignée de milliardaires puisse vraiment le contrôler…

En réalité, si on fait une relecture de l’histoire de des 70 000 dernières années, on s’aperçoit que Homo Sapiens s’est développé dans une dynamique fondée sur 4 règles :

  • Multiplier le nombre d’acteurs (population)
  • Accroître la diversité des acteurs (peuples, langues, etc..)
  • Développer les connexions entre les acteurs
  • Développer la libre circulation des informations

Si l’humanité n’est qu’un système de traitement de données, la meilleure façon de le faire grandir c’est d’accroître encore le nombre des données, accroître les connexions, accroître la circulation de toutes ces données : c’est l’objectif du But Ultime : l’« Internet-de-tous-les-objets ». Ceci accompli, Homo Sapiens pourra disparaître…

Le dataïsme prétend déterminer des valeurs : valeur suprême, le « flux d’information », qu’il faut approfondir et élargir sans cesse. « Ce système cosmique de traitement de données serait pareil à un Dieu. Il sera partout, contrôlera tout ».

Comme toutes les religions, les dataïstes ont aussi leurs missionnaires : il faut connecter même ceux qui ne veulent pas l’être ; il faut tout brancher, non seulement toutes les personnes, mais aussi tous les objets, les animaux, les arbres, etc…. Aucune partie de l’univers ne doit rester déconnectée. La mort, c’est lorsque les informations ne circulent plus.

Nous devons prouver, à nous-mêmes et au système, que nous avons encore une valeur, et la valeur réside non pas dans les expériences vécues, mais dans leur transformation en « data »…qui circulent librement.

Au 18ème siècle, l’humanisme nous a fait passer d’une vision théocentrique à une vision homocentrique. Au 21ème siècle, le dataïsme met les hommes sur la touche en délaissant la vision homocentrique au profit d’une vision datacentrique : Google et facebook savent souvent désormais mieux que nous ce que nous ressentons, ce qui est bon pour nous…

Vous voulez savoir, qui vous êtes, faites séquencer votre ADN, puis équipez-vous d’appareils biométriques ; persuadez vos proches de faire de même ; laissez Google et Facebook lire vos mails et vos messages…et on pourra vous dire quelle carrière vous convient, qui épouser, etc.. Tout cela par des algorithmes sophistiqués créés par des hackers. Mais un jour proche viendra où ces algorithmes seront réalisés et évoluerons sans les hackers, car nous savons rendre les machines numériques capables d’apprentissage permanent : les premiers algorithmes seront établis par des hackers humains, mais peu à peu, ce seront encore des machines qui développeront les nouveaux systèmes ; il se développera en suivant sa propre voie…où aucun homme ne pourra le suivre.

Qu’adviendra-t-il de nous les hommes ? Il n’est pas exclu que nous soyons condamnés à rejoindre les oubliettes de l’histoire : l’humanité n’aura été qu’une « ondulation dans le flux des données cosmiques »…

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Tout ceci est un exercice de prospective afin de savoir ce qui est en jeu aujourd’hui : le futur décrit ici n’a rien de fatal : il nous appartient de bien comprendre ce qui est en cause, et d’agir en conséquence…

D’ores et déjà, on peut se poser 3 questions :

  • Les organismes ne sont-ils vraiment que des algorithmes, et la vie se réduit-elle à un simple traitement de données numériques?
  • De l’intelligence (des machines numériques) ou de la conscience (des hommes), laquelle est la plus précieuse ?
  • Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne, quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents, nous connaîtront mieux que nous ne nous connaissons ?

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Suite des travaux de Yuval Noah Harari.

L’auteur a publié dès 2018 une suite à ses deux premiers tomes : 21 leçons pour le 21ème siècle, dont voici le sommaire : (source : Wikipédia)

  • Première partie : Le défi technologique
    • 1 : Désillusion : La fin de l’histoire a été reportée
    • 2 : Travail : Quand vous serez grand, vous pourriez bien être sans emploi
    • 3 : Liberté : Big Data vous observe
    • 4 : Égalité : Le futur appartient à qui possède les data
  • Deuxième partie : Le défi politique
    • 5 : Communauté : Les humains ont des corps
    • 6 : Civilisation : Il n’y a qu’une seule civilisation dans le monde
    • 7 : Nationalisme : Les problèmes mondiaux appellent des réponses mondiales
    • 8 : Religion : Dieu sert désormais la nation
    • 9 : Immigration : Certaines cultures pourraient être meilleures que d’autres
  • Troisième partie : Désespoir et espoir
    • 10 : Terrorisme : Pas de panique
    • 11 : Guerre : Ne jamais sous-estimer la bêtise humaine
    • 12 : Humilité : Vous n’êtes pas le centre du monde
    • 13 : Dieu : Ne prononce pas le nom de Dieu en vain
    • 14 : Laïcité : Connais ton ombre
  • Quatrième partie : Vérité
    • 15 : Ignorance : Vous en savez moins que vous ne le pensez
    • 16 : Justice : Notre sens de la justice pourrait bien être périmé
    • 17 : Post-vérité : Certaines fake news sont éternelles
    • 18 : Science-fiction : Le futur n’est pas ce que vous voyez au cinéma
  • Cinquième partie : Résilience
    • 19 : Éducation : La seule constante est le changement
    • 20 : Sens : La vie n’est pas un récit
    • 21 : Méditation : Se contenter d’observer

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Nous reviendrons sur ces 21 leçons, mais dès à présent, nous pouvons tenter quelques  réflexions sur les travaux de Mr Harari.

Alerte pour Homo Sapiens

Homo Sapiens a vécu une belle aventure, révélant ses capacités étonnantes d’intelligence collective d’abord pour la chasse aux grands mammifères, puis inventant l’agriculture, la domestication de certains animaux, organisant de grands empires puis conquérant « et soumettant » le monde.

Cette épopée a révélé au passage le caractère fondamentalement prédateur et cruel du collectif Homo Sapiens, envers les animaux sauvages d’abord, puis les animaux domestiques, réduisant le vivant à des unités de base industrielles centrées sur le profit : qu’importent les souffrances imposées au monde animal…

Le problème est que cette intelligence et cette cruauté en viennent à se retourner contre l’espèce Homo Sapiens elle-même :

  • d’une part, rien de prouve qu’au terme de cette « conquête du monde », qui prétend avoir éradiquer la faim, les épidémies et les guerres, Sapiens soit au final plus heureux qu’avant.
  • Sans doute, un grand nombre d’entre eux y ont trouvé leur compte, mais pour un bien plus grand nombre d’entre nous, le compte n’y est pas, et l’on se demande si « Sapiens » n’est pas un qualificatif usurpé.
  • D’autre part, cette épopée multiséculaire se trouve dans une impasse. Le prédateur a sévi en exterminant le vivant tant sur terre (forêts, terres agricoles) dans l’air (oiseaux, insectes..) que jusqu’au fond des mers (poissons)
  • Cette prédation et cette violence faite au vivant, homo sapiens l’a même exercée au fil des siècles et il l’exerce encore aujourd’hui auprès de ses semblables (esclavage, asservissement des hommes sous diverses formes).
  • Elle se poursuit aujourd’hui par une augmentation des inégalités sociales grâce aux dernières techniques financières numérisées qui échappent totalement au « commun des mortels » !
  • Les nouvelles technologies qu’Homo Sapiens est parvenu à développer (génie génétique, intelligence artificielle) sont devenues d’une puissance telle qu’elles portent en germe, s’il n’y prend garde, la capacité à le surpasser … : un jour viendra, dans 30 ou 50 ans (?), où la Machine-Système sera hors de contrôle.
  • Ainsi, selon le bon mot de Pascal Picq, l’histoire d’Homo Sapiens est à la fois « belle et tragique », se retrouvant…seul désormais, face à lui-même, face à la terre dans l’état où il l’a mise, et face aux techniques qu’il a lui-même développées.

Finalement, l’auteur est un lanceur d’alerte pour notre espèce : il est grand temps de prendre du recul et d’engager des mesures correctives radicales. Ce n’est pas un hasard, si au fil de ses travaux, il est devenu végane, vivant de manière frugale dans une coopérative agricole, et qu’il termine ses travaux sur une série de questions sur nous-mêmes : Où va-t-on? où voulons-nous aller ?

Ce qui est glaçant, c’est le fait que les scientifiques qui sont à l’œuvre et semble-t-il hors de contrôle, se conduisent comme de pures mécaniques arrogantes et aveugles, les biologistes considérant le vivant comme de simples processus chimiques, les champions du numériques considérant les êtres humains comme de simples logiciels sous l’emprise de leur environnement.

Il semble que tout un pan de la nature humaine leur échappe : non le vivant, et notamment Homo sapiens, n’est pas qu’ « un simple processus biochimique ». N’ont-ils rien appris de Piaget, de Merleau Ponty , entre autres,  pour ne pas reconnaître les profondeurs de la nature humaine et des processus d’apprentissage de l’enfant : il y a , de fait, des modes de communication entre les hommes qui font « grandir en humanité » et qui échappent à la biochimie et au numérique; encore faut-il en avoir conscience et travailler à les développer.

Sans doute, pour éviter les pièges devant lesquels nous nous trouvons, il faut pour Homo Sapiens un surcroît de sagesse, acceptant d’être lucide sur sa rapacité et sa cruauté et qu’il travaille effectivement sur lui-même pour maîtriser ses instincts, qu’il développe un regard respectueux et fraternel sur l’ensemble du vivant, aujourd’hui sérieusement atteint.

Sans doute aussi faut-il se méfier de ceux qui, dans la Silicon Valley et ailleurs, prétendent conduire le monde, ne sachant pas eux-mêmes où ils vont…

  1. Antoine Héron, 22 avril 2020

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Prophète athée, végane…

Qui est Yuval Noah Harari, « le penseur le plus important du monde » d’après Le Point ?

(sources : 20 Minutes, avril 2018, lors de la sortie des 21 leçons pour le 21ème siècle)

Comment le maître de conférences diplômé d’Oxford est-il devenu ce phénomène aux ventes vertigineuses ? Rien ne prédestinait Harari, né en 1976 à Haïfa, en Israël, à connaître un tel succès, surtout quand on regarde ses premiers écrits passés complètement inaperçus.

Tout est parti d’un simple MOOC [formation en ligne ouverte à tous]. « Un jour, des étudiants de son université ont réclamé un cours général sur l’histoire de l’humanité. Les professeurs les plus réputés ont tous décliné et finalement le « junior » Harari, spécialiste d’histoire médiévale et d’histoire militaire s’est porté volontaire », racontait Anne Michel, son éditrice chez Albin Michel, à L’Expressen 2017, à l’heure de la sortie française de son deuxième succès en librairie, Homo Deus. Tandis que ce cours prend de l’ampleur, l’historien a l’idée brillante d’en faire un livre. Résultat : 12 millions d’exemplaires vendus dans le monde pour ses deux premiers best-sellers, 45 traductions…

Crâne rasé, sourire en coin, Yuval Noah Harari, jeune maître de conférences de 42 ans à l’Université hébraïque de Jérusalem, n’a rien, a priori, de l’image du prophète qu’on se fait. Il est pourtant l’un des historiens les plus lus de sa génération. Dans son fan-club, on compte Barack Obama qui avait recommandé cette « histoire de l’humanité vue du ciel », Mark Zuckerberg qui l’avait sélectionné dans son club de lecture, Ridley Scott​ qui va adapter Sapiens sur grand écran, Hubert Védrine… The Economist en parle comme du premier « vrai intellectuel global du XXIe siècle » et, en septembre dernier, The New York Times a engagé Bill Gates, le fondateur de Microsoft, comme journaliste pour écrire un long article sur 21 leçons. Les grands de ce monde ne parlent que de lui… C’est à se demander si on n’en ferait pas un peu trop.

Un penseur du futur sans smartphone

Penseur singulier, Yuval Noah Harari semble bourré de paradoxes. Il dessine un futur, dans Homo Deus, où le dataïsme se substituerait aux anciennes religions, mais il ne possède pas de smartphone. « Les gens vraiment importants n’ont pas de smartphone. Il en faut un quand on travaille pour quelqu’un », explique-t-il au MondeSelon lui, les monothéismes n’ont plus rien à nous apprendre sur nos vies, mais il ne cache pas sa passion pour la méditation Vipassana -il médite deux heures par jour et part régulièrement en retraite. Végan depuis Sapiens, il mène une vie austère dans une coopérative agricole avec son compagnon Itzik, qu’il a épousé au Canada, le mariage homosexuel n’étant pas reconnu en Israël.

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Homo Deus, une brève histoire du futur

De Yuval Noah Hariri, 2015 (ed française 2017 chez Albin Michel)

Ce livre constitue en quelque sorte un prolongement du précédent essai, Sapiens : Une brève histoire de l’humanitéHarari, en examinant les grands mouvements de l’évolution de l’humanité depuis la préhistoire, et fort des dernières découvertes de la biologie, de la technologie informatique et des sciences sociales, nous interroge sur l’avenir de l’homme.

Le projet de l’auteur n’est pas de spéculer sur l’avenir mais d’identifier ce que pourraient produire à terme les logiques sociétales à l’œuvre aujourd’hui si des humains ne se mobilisent pas pour les freiner. Toutes les prédictions qui parsèment ce livre ne sont rien de plus qu’une tentative pour aborder les dilemmes d’aujourd’hui et une invitation à changer le cours de l’avenir.


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Introduction : Le nouvel ordre du jour humain.

Dans une longue introduction l’auteur se pose la question de savoir quelles vont être les priorités de l’humanité au début de ce 3e millénaire.

Pendant des milliers d’années, l’humanité a été aux prises avec trois grands fléaux : la faim, les épidémies et les guerres.

Pour ce qui est de la faim, le paradoxe actuel, est qu’en 2014,  on compte deux à trois fois plus de personnes en surpoids dans le monde (2,1 milliards) que de personnes souffrant de malnutrition (850 millions).

Les épidémies ont régulièrement fait des ravages : on se souvient de la grande peste noire (partie d’Asie !) tuant entre en Europe 75 et 200 millions de gens (40% de la population anglaise ; 50% de celle de Florence…); mais il y eut pire : on estime que les amérindiens en un siècle ont perdu, avec l’arrivée des européens, 90% de leur population en attrapant la variole, la grippe, la rougeole, et la pandémie de la « grippe espagnole » tua en 1919 à travers le monde entre 50 et 100 millions de gens. Toutefois, on peut constater, que même si nous subissons des attaques nouvelles de nouveaux virus, (Sras, Ebola…), nous sommes en mesure de réagir beaucoup plus rapidement et de contenir le fléau. (l’auteur écrit en 2015 : le Coronavirus n’était pas encore arrivé..).

Enfin, et contrairement au sentiment que l’on peut avoir en écoutant les nouvelles quotidiennes, les guerres « disparaissent », ou du moins les victimes sont moins nombreuses qu’autrefois. La tendance générale est de régler les conflits d’une autre manière que par des massacres réciproques.

Ainsi les trois grands fléaux millénaires sont en train de disparaître, non pas totalement ; mais leurs conséquences sont nettement moins graves qu’auparavant, et ils semblent à terme, surmontables. Ceci ne veut pas dire qu’il faille baisser la garde : la nature a horreur du vide, et d’autres fléaux peuvent surgir à tout moment, le grand danger serait de nous endormir et de se laisser prendre au dépourvu.

L’histoire nous apprend le caractère imprévisible à long terme des aspirations humaines. Mais il est probable que les grands projets de l’humanité au XXI ème siècle soient :

  • D’atteindre l’immortalité : pour nombre de scientifiques, la mort est un « problème technique » sur lequel il est bon de se pencher…pour retarder aussi loin que possible les échéances : Google a lancé en 2012 une filiale, Calico, dont la mission déclarée est de « résoudre le problème de la mort », et Google Ventures investit 36% de ses 2 milliards de dollars en portefeuille dans des start-up spécialisées dans les sciences de la vie, dont plusieurs sont consacrées à la prolongation de la vie. Certains pensent « résoudre le problème » d’ici à 2050 ; d’autres vers 2200…Peter Thiel, le cofondateur de PayPal emboite le pas : il faut combattre la mort…et il espère bien profiter personnellement des résultats de ces travaux !

Pour les scientifiques et les capitalistes, cette approche est du pain béni : des programmes de recherche richement dotés, et in fine, de nouveaux marchés en perspective… Cela va poser d’autres problèmes sur la durée du travail, l’âge de la retraite, sur une humanité à deux vitesses : il y aura ceux qui pourront se payer ces nouveaux développements et ceux qui ne le pourront pas. 

Sans doute Google n’atteindra pas son but aussi rapidement qu’il le souhaite ; mais à force de biologie cellulaire, de médicaments génétiques, ils vont être capables d’avancées significatives et à terme se rapprocher de plus en plus de ce qu’ils recherchent

  • De trouver la clé du bonheur. En 1776 les Pères fondateurs des Etats-Unis firent de la poursuite du bonheur un des trois droits inaliénables de l’homme (avec le droit à la vie et le droit à la liberté). L’objectif est loin d’être atteint quand on sait que l’on compte par exemple en Corée du Sud 36 suicides par an pour 100 000 habitants… (contre 12 en Europe et 5 au Maghreb)! Au fait qu’est-ce que le bonheur ? On ne l’atteint sûrement pas par l’accumulation déraisonné de biens : l’argent fait le bonheur… jusqu’à un certain point ; au-delà, rien n’est sûr !

Pour nombre de biologistes, le bonheur n’est que le résultat d’un processus biochimique qui provoque félicité, tranquillité, excitation, exaltation, …et ceci peut être fourni par des substances qui provoquent ces sensations. Déjà face à un problème d’attention, d’hyperactivité, on n’hésite pas à donner à quelques millions d’enfants des stimulants chimiques aux Etats-Unis et en Grande Bretagne ; dans les armées, on multiplie l’usage des antidépresseurs pour vaincre les peurs et les traumatismes de la guerre. Tout ceci est sans doute à réguler ; mais les laboratoires recherchent la manière de stimuler au mieux la biochimie humaine et la manipulation génétique pour favoriser la sensation du bonheur. Même si l’objectif de jouir d’un plaisir éternel semble hors de portée, toujours est-il que c’est la direction qui va progressivement être prise.

  • Hisser enfin l’homme au rang de « dieu » (car capable d’agir sur la création et de la détruire…). Immortalité et béatitude sont précisément deux attributs jusqu’à présent réservés à Dieu ; pour en jouir pleinement, il reste à l’homme de développer au maximum son corps et son esprit, bien au-delà de ce qu’Homo Sapiens a acquis et développé au cours de son histoire. On a vu (Homo Sapiens, brève histoire de l’humanité) qu’il y a trois manières d’agir pour « augmenter » ce que nous sommes : le génie biologique (en réécrivant par exemple notre code génétique), par la « bionique » (en croisant des éléments vivants avec des éléments inorganiques : une main artificielle « branchée » sur nos nerfs et que l’on peut commander), ou le « génie augmenté » des machines créées par l’homme (ces machines capables d’être plus intelligentes et plus rapides que nous, et qui ne cesseront pas d’apprendre)…

Nous ne savons pas où tout cela peut nous conduire, mais inéluctablement, si rien ne vient freiner le mouvement, des perspectives sont dans la « logique des choses ». Nous nous dirigeons vers l’inconnu « à grande vitesse » …et il semble impossible de freiner le mouvement, car où sont les freins ? Tous les domaines ouverts à la sciences s’interpénètrent mutuellement ; nous sommes toujours dans une société économique qui a un besoin vital de la croissance comme un humain a besoin vital d’oxygène, le champ ouvert aux manipulations génétiques (d’abord pour soigner les maladies, puis pour « augmenter » les personnes) est immense…

Concernant l’usage de ces nouvelles technologies, nous allons vers l’Inconnu ; mais mieux vaut comprendre ce qui se passe, et décider de ce qu’il faut faire, avant qu’elles ne le fassent pour nous…

Après cette longue et dense introduction, l’auteur revient dans un premier chapitre sur « ce qui s’est passé » (Homo Sapiens conquiert le monde), puis développe ce qui se passe sous nos yeux « Homo Sapiens donne sens au monde) dans un 2ème chapitre, et le futur qui s’entrouvre si rien ne vient « freiner la machine » (Homo Sapiens perd le contrôle) : 3ème chapitre.

Il conclut sur une nécessaire et profonde résilience, et la nécessité pour chacun de se réinventer, et termine par une série d’interrogations…qui seront reprises dans son troisième ouvrage : 21 leçons pour le 21 ème siècle ( qui sera publiée en 2018).

Partie 1 : Homo Sapiens conquiert le monde

  • Chapitre 2 : L’Anthropocène

Au cours de l’anthropocène, l’homme, grâce à son intelligence a asservi avec une grande violence le monde animal : « par rapport aux autres animaux, il y a longtemps que les humains sont devenus des dieux »…mais des dieux « pas particulièrement miséricordieux » : domestication de la plupart des grandes espèces « utiles » et extinction de la plupart des autres. Cette violence envers les animaux se retrouve dans les relations humaines, quand les hommes de pouvoir traitent notamment la « main-d’œuvre » quasiment comme du bétail (servitude, esclavage, marché du travail au meilleur prix, etc..).

L’auteur pose la question de savoir si des ordinateurs dépassant les hommes en intelligence et en puissance pourraient traiter demain les hommes de la même façon que les hommes traitent les animaux aujourd’hui.

  • Chapitre 3 : L’étincelle humaine.

Avec l’anthropocène, les sapiens sont devenus les seuls maîtres du monde. Ils se sont libérés de Dieu depuis la révolution scientifique et industrielle. Si les rendements agricoles sont bons, ce n’est pas parce que de la pluie est tombée du ciel, mais que les engrais étaient bons et les semences adéquates ; si les maladies disparaissent ce n’est pas par quelque miracle venu du Ciel, mais parce que l’on a trouvé les bons antibiotiques, etc… et tout cela a pu être réalisé parce que Homo Sapiens a su proposer un sens à l’activité humaine et rassembler des foules autour de grandes idées humanistes. Les humains ont créé des entités intersubjectives, comme les dieux, les nations, les entreprises; ce sont des « fictions » qui dominent les hommes et le monde.

Partie 2 : Homo Sapiens donne sens au monde

  • Chapitre 4 : Les conteurs. 

Les fictions permettent aux hommes de coopérer entre eux. Il faut prendre le terme « fiction » dans un sens très large : une entreprise comme « Google », une « nation » par exemple sont des entités imaginaires, des « fictions » : Il peut paraître étrange que des entités imaginaires puissent se voir attribuer des réalisations concrètes et très puissantes. Mais cela ne choque personne que l’on dise que les « Etats-Unis » ont « produit » la première bombe nucléaire.  

Ces fictions sont apparues avec l’écriture, les Ecritures, le développement des administrations, etc… En 1958 le gouvernement chinois a été trompé par des statistiques fausses qui lui annonçaient d’excellentes récoltes. Il a vendu l’excédent pour acheter armes et machines ; mais au moment de la récolte, le compte n’y était pas, et c’est ce qui a conduit à la grande famine chinoise, avec plusieurs dizaines de millions de morts.

Il faut se méfier des comptes et des « contes ». La monnaie est aussi une fiction. Le tout est d’y croire. Certaines fictions sont vitales. Sans récit commun accepté par tous, comme la monnaie, les sociétés, les états, aucune société humaine complexe ne saurait fonctionner. Nous les avons inventées pour nous servir. Le risque étant que les fictions devenant de plus en plus puissantes, avec les biotechnologies et les algorithmes informatiques, elles finissent par se retourner contre nous : d’où la nécessité d’une très grande vigilance.

  • Chapitre 5 : Le couple dépareillé : religion et science

Des contes particulièrement puissants, de l’Egypte ancienne à la Chine médiévale, ont permis des œuvres considérables comme les Pyramides, la Grande Muraille de Chine, les cathédrales, etc… mais la foi (aveugle) a engendré des efforts humains pour la gloire de certains, mais cela a eu peu d’impact sur l’amélioration du sort des peuples. Les religions sont des fictions qui ont permis d’assurer le pouvoir sur les hommes en transformant des jugements éthiques en énoncés factuels, obscurcissant la connaissance.

La science a peu à peu mis en cause les dogmes des religions ; les religions ont cru pouvoir résister ; mais elles ont du céder et composer avec la science.

En se libérant de ces « fictions » sensées venir d’en-haut, en pensant par eux-mêmes, les homo sapiens se sont libérés en deux siècles et demi des grands fléaux qui s’abattaient régulièrement sur lui : les épidémies, la famine et les guerres, et ceci, grâce à la révolution industrielle, la promotion de la démocratie et de la laïcité.

  • Chapitre 6. L’alliance moderne. 

Le nouveau « Dieu », durant cette période, est l’Humanisme : le droit pour chacun de faire selon ce qu’il considère en toutes choses comme « bon pour lui » sans déranger les autres…

Ceci dit, il n’est pas certain que les peuples soient devenus plus heureux pour autant ; non seulement les conflits sociaux demeurent, les inégalités vont en croissant et l’avenir est lourd de bien des menaces…et l’on ne connaît qu’un seul remède : « la Croissance  indéfinie » de l’emprise des hommes sur notre malheureuse planète…

  • Chapitre 7 : La Révolution humaniste.

Dans la période médiévale, la grande formule du savoir, c’était : Savoir = Les Ecritures x Logique ; puis la révolution scientifique a revu la formule : le Savoir = Les données empiriques x mathématiques : de là viennent notre connaissance du système solaire (jusqu’ici prisonnier des textes sacrés) ; de là nos avancées en astronomie, en médecine (le cœur n’est qu’une pompe..), et autres disciplines. L’Humanisme a proposé une autre formule : Savoir = Expériences x Sensibilité, ce qui permet de résoudre les problèmes éthiques, de trancher sur ce qu’il faut faire et ne pas faire…

Illustration de l’évolution humaniste dans l’art de peindre la guerre : du temps de Louis XIV, les tableaux de batailles, montraient le roi au-dessus des troupes commandant les forces, et au loin, les différents régiments en présence, comme des pions sur un échiquier. Au 20ème siècle, les peintres de la guerre de 14 montrent les combats dans les tranchées dans ce qu’elles ont de plus violent ; ou bien c’est le visage d’un soldat allemand à Stalingrad ou d’un  GI américain au Vietnam, traumatisé par ce qu’il voit…

Comme les religions, l’humanisme, a connu ses grands schismes. Il s’est scindé en trois grandes branches ː l’humanisme libéral (ou libéralisme, allant jusqu’à prendre les formes les plus radicales, notamment aux Etats-Unis), l’humanisme socialiste (dans sa forme la plus marquante : le communisme de Lénine) et l’humanisme évolutionniste (dans sa forme la plus brutale : le nazisme). Et en ce début du 21ème siècle, c’est la forme libérale qui l’a emporté, non sans avoir emprunté à l’humanisme socialiste quelques éléments de son programme (en terme de minimum de protection sociale) … tout en cherchant à s’en « libérer », par une pression permanente, pour se dégager de ces règles qui « freinent les affaires » et donc la « liberté d’entreprendre…

A l’époque médiévale, les religions étaient créatives ; les monastères étaient à la pointe des avancées techniques et agricoles. Désormais, les religions sont toujours présentes, mais elles ne sont plus créatives ; elles sont sur la défensive ; les Ecritures n’ont rien à dire sur le génie génétique ni sur l’intelligence artificielle.

Fort de ses succès, et avec le nouveau levier que constitue les révolutions de la génétique et du numérique, l’humanisme libéral ne peut que vouloir aller plus loin, en maximisant la durée de vie, le bonheur et le pouvoir des êtres humains.

Partie 3. Homo Sapiens perd le contrôle

  • Chapitre 8. La bombe à retardement au laboratoire.

Les neurosciences du xxie siècle indiquent que les décisions humaines, le libre-arbitre, sont le résultat de processus électro-chimiques du cerveau. Les chercheurs arrivent à la conclusion qu’il n’y a pas d’individus libres : ils ne sont que le jouet des influences qu’ils reçoivent. La manipulation des esprits est partout à l’œuvre.

Quel est le sens de la vie ? Pour le libéralisme, il ne faut rien attendre d’une entité extérieure qui nous donnerait un sens tout prêt : c’est à nous (électeurs, acheteurs, consommateurs..) d’user de notre libre-arbitre pour créer du sens .

La biologie nous dit que les individus libres ne sont que « fictions », car en réalité, il sont le jouet de mécanismes biochimiques . Certes l’individu « se raconte une histoire » par laquelle il se sent libre ; mais cette histoire elle-même est une fiction.

Les êtres humains ne sont pas à une contradiction près : ils sont souvent dans la « dissonance cognitive », s’autorisant à croire une chose au laboratoire, une autre chose devant la justice, et autre chose encore en tant qu’électeur. Plus concrètement, nous sommes et serons de plus en  plus prisonniers des technologies nouvelles qui vont être mises à notre disposition… tout simplement…

  • Chapitre 9 : Le grand découplage.

Dans le même temps, on s’aperçoit que les avancées biologiques, génétiques et dans le domaine du numérique sont en train de surpasser Homo Sapiens. On l’a vu avec les joueurs d’échec battus par l’ordinateur Big Blue ; mais c’est l’intelligence artificielle qui est désormais la grande menace pour la plupart des métiers que nous connaissons aujourd’hui. Si les voitures sont autonomes, il n’y aura plus besoin de chauffeurs de taxis ; de même les employés d’assurance, de banques, d’agences de voyages vont disparaître ; dans les usines les robots et les imprimantes 3D vont prendre la place des ouvriers ; de même les négociateurs en bourse seront remplacés par des robots ; de même pour les médecins, car les machines peuvent se mettre à jour en permanence des dernières technologies, des derniers traitements médicaux. Il en est de même pour les pharmaciens.

Les seuls métiers qui vont rester sont ceux où le remplacement de l’homme par une machine n’est pas rentable. Se pose alors la question de l’avenir de ces humains devenus inutiles, face à une élite aux pouvoirs améliorés…d’autant plus que les systèmes artificiels vont devenir plus « puissants que nous, sachant mieux « ce que nous sommes, ce que nous ressentons, ce que nous voulons… »

Chapitre 10 : L’océan de la conscience.

Aux anciennes religions ont succédé les nouvelles « techno-religions » : comme toutes les religions, elles promettent la vie éternelle, le bonheur et la paix, mais ici bas…et pour bientôt ! On peut distinguer dans ces nouvelles « religions » deux catégories : le techno-humanisme, et la religion des données numériques (les « data »).

Pour le techno-humaniste, l’humain reste le sommet de la création. Certes, Homo sapiens a vécu, mais nous pouvons accéder à un type d’Homo supérieur (Homo Deus), conservant les traits humains essentiels, mais jouissant de capacités physiques et mentales « augmentées » qui lui permettront  de se défendre contre les formes d’intelligences des nouvelles machines qui nous surpassent en traitement de données.

Entre le chasseur-cueilleur d’autrefois et l’Homo Sapiens actuel, nous ne différons que de quelques gènes; quelques petites manipulations génétiques vont nous permettre d’accéder à un niveau supérieur à l’Homo sapiens actuel. L’esprit humain va donc être augmenté…Mais pour aller où ?

Actuellement, rien que dans le domaine des vibrations magnétiques, nous ne percevons qu’une minuscule partie du spectre des possibles. Sur le plan « culturel, nous nous sommes considérablement appauvris ces derniers siècles en détruisant nombre de cultures premières, qui avaient chacune leur culture mentale spécifique. Aujourd’hui, nous convergeons vers une seule culture, celle des occidentaux riches, formés et démocratiques ; mais il pourrait y avoir bien d’autres options. La science des états mentaux « augmentés » relève de ce que l’on appelle aujourd’hui la « psychologie positive », dont le but n’est pas de soigner des malades, mais d’augmenter nos capacités mentales. Par rapport à nos origines, nous avons beaucoup perdu sur le plan olfactif, en acuité visuelle, en intuition sur ce nous dit la nature qui nous entoure, et même en capacité de rêver et d’en tirer parti…etc…pour laisser la place à la lecture, au calcul, au raisonnement abstrait.

Finalement, en augmentant nos capacités mentales et physiques, nous risquons en contrepartie une réduction de nos capacités en « esprit humain ».  Finalement, que nous voulons-nous faire ? Nous le saurons de moins en moins ; mais le« système global », lui, peut savoir ce qu’il veut faire de nous : le « progrès technique » , fiction en devenir, « ne veut pas écouter nos voix intérieures : il veut juste les contrôler ».

  • Chapitre 11 : La religion des data.

Il existe une autre techno-religion. C’est celle des Données Numériques (Data), qui tend à couper le cordon ombilical humaniste. Il s’agit d’un monde qui ne cherche pas à répondre aux désirs et à la volonté de l’espèce humaine. Un nouveau Dieu est en train de naître, c’est celui de l’information numérique, des Données toutes puissantes, les « DATA » qui engendrent le « dataïsme ».

L’univers n’est qu’un « flux de données », et tout sens est à chercher dans le « traitement des données ». Ceci résulte à la fois de la théorie de l’évolution de Darwin (les sciences de la vie en sont arrivées à ne voir les organismes que comme le produit d’algorithmes biologiques, et les mathématiciens ont conçu des machines à produire des algorithmes électroniques de plus en plus sophistiqués : on sait maintenant composer des symphonies numériques : musicologues, économistes et spécialistes de biologie cellulaires disposent désormais d’un « langage commun ».

Les « dataïstes » pensent que les hommes ne peuvent plus désormais suivre le développement de toutes les données. Le traitement des données doit donc être confié à des « algorithmes électroniques » désormais plus puissants que notre cerveau humain : ils se fient davantage aux « Big Data ».

Sont considérés comme des systèmes de traitement de données non seulement des organismes individuels, mais aussi des sociétés entières, des forêts, des ruches, des colonies de bactéries, etc…mais ce peut être aussi l’économie d’un pays. Grâce aux données numériques traitées de partout à travers le monde, le marché boursier est capable de calculer en moins de 15 minutes l’impact, sur la plupart des actions,  d’un titre qui sort tout à coup du New York Times.

Le capitalisme a triomphé du communisme, non pas parce qu’il était plus moral, ou que les libertés individuelles sont sacrées, mais parce que le communisme avait mis en place un système de données centralisé, alors qu’avec le capitalisme, les données sont distribuées, décentralisées.

La parabole du boulanger : On raconte que Gorbatchev envoya à Londres un économiste pour mieux comprendre comment fonctionnait l’économie occidentale. Il fut reçu à la City de Londres, et à la Business School of Economics ; mais il interrompit les exposés et posa la question suivante : « chez nous, nos meilleurs spécialistes travaillent dur pour voir comment supprimer les queues interminables chez les boulangers. Or, depuis que je suis à Londres, je n’ai jamais vu de queue pour le pain. Conduisez-moi auprès de la personne en charge de ravitailler Londres en pain !  je dois connaître son secret ! ». On lui répondit : « Notre secret, c’est que personne n’est en charge de ravitailler Londres en pain ! ».

Les données sont également essentielles pour les politiques, qu’il s’agisse de dictatures ou de démocraties. Mais les données numériques changent si vite, que les politiques ont désormais du mal à suivre… Internet n’a fait l’objet d’aucune décision politique, et pourtant Internet est là, avec toute sa puissance…et les gouvernements se révèlent impuissants à contrôler les réseaux : La « data » les submergent : « la tortue gouvernementale n’arrive pas à suivre le lièvre technologique ». La CIA est submergée de données, mais ne sait plus quoi en faire…

Ne sachant plus bien « où l’on va, », les politiques n’ont plus de vision : ils gèrent à court terme, n’ayant pas la moindre idée de ce que sera leur pays dans 20 ans…

Certains en déduisent que ceux qui dirigent le monde sont en fait « une petite coterie de milliardaires » ; mais en fait, le système est trop complexe pour qu’une poignée de milliardaires puisse vraiment le contrôler…

En réalité, si on fait une relecture de l’histoire de des 70 000 dernières années, on s’aperçoit que Homo Sapiens s’est développé dans une dynamique fondée sur 4 règles :

  • Multiplier le nombre d’acteurs (population)
  • Accroître la diversité des acteurs (peuples, langues, etc..)
  • Développer les connexions entre les acteurs
  • Développer la libre circulation des informations

Si l’humanité n’est qu’un système de traitement de données, la meilleure façon de le faire grandir c’est d’accroître encore le nombre des données, accroître les connexions, accroître la circulation de toutes ces données : c’est l’objectif du But Ultime : l’« Internet-de-tous-les-objets ». Ceci accompli, Homo Sapiens pourra disparaître…

Le dataïsme prétend déterminer des valeurs : valeur suprême, le « flux d’information », qu’il faut approfondir et élargir sans cesse. « Ce système cosmique de traitement de données serait pareil à un Dieu. Il sera partout, contrôlera tout ».

Comme toutes les religions, les dataïstes ont aussi leurs missionnaires : il faut connecter même ceux qui ne veulent pas l’être ; il faut tout brancher, non seulement toutes les personnes, mais aussi tous les objets, les animaux, les arbres, etc…. Aucune partie de l’univers ne doit rester déconnectée. La mort, c’est lorsque les informations ne circulent plus.

Nous devons prouver, à nous-mêmes et au système, que nous avons encore une valeur, et la valeur réside non pas dans les expériences vécues, mais dans leur transformation en « data »…qui circulent librement.

Au 18ème siècle, l’humanisme nous a fait passer d’une vision théocentrique à une vision homocentrique. Au 21ème siècle, le dataïsme met les hommes sur la touche en délaissant la vision homocentrique au profit d’une vision datacentrique : Google et facebook savent souvent désormais mieux que nous ce que nous ressentons, ce qui est bon pour nous…

Vous voulez savoir, qui vous êtes, faites séquencer votre ADN, puis équipez-vous d’appareils biométriques ; persuadez vos proches de faire de même ; laissez Google et Facebook lire vos mails et vos messages…et on pourra vous dire quelle carrière vous convient, qui épouser, etc.. Tout cela par des algorithmes sophistiqués créés par des hackers. Mais un jour proche viendra où ces algorithmes seront réalisés et évoluerons sans les hackers, car nous savons rendre les machines numériques capables d’apprentissage permanent : les premiers algorithmes seront établis par des hackers humains, mais peu à peu, ce seront encore des machines qui développeront les nouveaux systèmes ; il se développera en suivant sa propre voie…où aucun homme ne pourra le suivre.

Qu’adviendra-t-il de nous les hommes ? Il n’est pas exclu que nous soyons condamnés à rejoindre les oubliettes de l’histoire : l’humanité n’aura été qu’une « ondulation dans le flux des données cosmiques »…

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Tout ceci est un exercice de prospective afin de savoir ce qui est en jeu aujourd’hui : le futur décrit ici n’a rien de fatal : il nous appartient de bien comprendre ce qui est en cause, et d’agir en conséquence…

D’ores et déjà, on peut se poser 3 questions :

  • Les organismes ne sont-ils vraiment que des algorithmes, et la vie se réduit-elle à un simple traitement de données numériques?
  • De l’intelligence (des machines numériques) ou de la conscience (des hommes), laquelle est la plus précieuse ?
  • Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne, quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents, nous connaîtront mieux que nous ne nous connaissons ?

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Suite des travaux de Yuval Noah Harari.

L’auteur a publié dès 2018 une suite à ses deux premiers tomes : 21 leçons pour le 21ème siècle, dont voici le sommaire : (source : Wikipédia)

  • Première partie : Le défi technologique
    • 1 : Désillusion : La fin de l’histoire a été reportée
    • 2 : Travail : Quand vous serez grand, vous pourriez bien être sans emploi
    • 3 : Liberté : Big Data vous observe
    • 4 : Égalité : Le futur appartient à qui possède les data
  • Deuxième partie : Le défi politique
    • 5 : Communauté : Les humains ont des corps
    • 6 : Civilisation : Il n’y a qu’une seule civilisation dans le monde
    • 7 : Nationalisme : Les problèmes mondiaux appellent des réponses mondiales
    • 8 : Religion : Dieu sert désormais la nation
    • 9 : Immigration : Certaines cultures pourraient être meilleures que d’autres
  • Troisième partie : Désespoir et espoir
    • 10 : Terrorisme : Pas de panique
    • 11 : Guerre : Ne jamais sous-estimer la bêtise humaine
    • 12 : Humilité : Vous n’êtes pas le centre du monde
    • 13 : Dieu : Ne prononce pas le nom de Dieu en vain
    • 14 : Laïcité : Connais ton ombre
  • Quatrième partie : Vérité
    • 15 : Ignorance : Vous en savez moins que vous ne le pensez
    • 16 : Justice : Notre sens de la justice pourrait bien être périmé
    • 17 : Post-vérité : Certaines fake news sont éternelles
    • 18 : Science-fiction : Le futur n’est pas ce que vous voyez au cinéma
  • Cinquième partie : Résilience
    • 19 : Éducation : La seule constante est le changement
    • 20 : Sens : La vie n’est pas un récit
    • 21 : Méditation : Se contenter d’observer

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Nous reviendrons sur ces 21 leçons, mais dès à présent, nous pouvons tenter quelques  réflexions sur les travaux de Mr Harari.

Alerte pour Homo Sapiens

Homo Sapiens a vécu une belle aventure, révélant ses capacités étonnantes d’intelligence collective d’abord pour la chasse aux grands mammifères, puis inventant l’agriculture, la domestication de certains animaux, organisant de grands empires puis conquérant « et soumettant » le monde.

Cette épopée a révélé au passage le caractère fondamentalement prédateur et cruel du collectif Homo Sapiens, envers les animaux sauvages d’abord, puis les animaux domestiques, réduisant le vivant à des unités de base industrielles centrées sur le profit : qu’importent les souffrances imposées au monde animal…

Le problème est que cette intelligence et cette cruauté en viennent à se retourner contre l’espèce Homo Sapiens elle-même :

  • d’une part, rien de prouve qu’au terme de cette « conquête du monde », qui prétend avoir éradiquer la faim, les épidémies et les guerres, Sapiens soit au final plus heureux qu’avant.
  • Sans doute, un grand nombre d’entre eux y ont trouvé leur compte, mais pour un bien plus grand nombre d’entre nous, le compte n’y est pas, et l’on se demande si « Sapiens » n’est pas un qualificatif usurpé.
  • D’autre part, cette épopée multiséculaire se trouve dans une impasse. Le prédateur a sévi en exterminant le vivant tant sur terre (forêts, terres agricoles) dans l’air (oiseaux, insectes..) que jusqu’au fond des mers (poissons)
  • Cette prédation et cette violence faite au vivant, homo sapiens l’a même exercée au fil des siècles et il l’exerce encore aujourd’hui auprès de ses semblables (esclavage, asservissement des hommes sous diverses formes).
  • Elle se poursuit aujourd’hui par une augmentation des inégalités sociales grâce aux dernières techniques financières numérisées qui échappent totalement au « commun des mortels » !
  • Les nouvelles technologies qu’Homo Sapiens est parvenu à développer (génie génétique, intelligence artificielle) sont devenues d’une puissance telle qu’elles portent en germe, s’il n’y prend garde, la capacité à le surpasser … : un jour viendra, dans 30 ou 50 ans (?), où la Machine-Système sera hors de contrôle.
  • Ainsi, selon le bon mot de Pascal Picq, l’histoire d’Homo Sapiens est à la fois « belle et tragique », se retrouvant…seul désormais, face à lui-même, face à la terre dans l’état où il l’a mise, et face aux techniques qu’il a lui-même développées.

Finalement, l’auteur est un lanceur d’alerte pour notre espèce : il est grand temps de prendre du recul et d’engager des mesures correctives radicales. Ce n’est pas un hasard, si au fil de ses travaux, il est devenu végane, vivant de manière frugale dans une coopérative agricole, et qu’il termine ses travaux sur une série de questions sur nous-mêmes : Où va-t-on? où voulons-nous aller ?

Ce qui est glaçant, c’est le fait que les scientifiques qui sont à l’œuvre et semble-t-il hors de contrôle, se conduisent comme de pures mécaniques arrogantes et aveugles, les biologistes considérant le vivant comme de simples processus chimiques, les champions du numériques considérant les êtres humains comme de simples logiciels sous l’emprise de leur environnement.

Il semble que tout un pan de la nature humaine leur échappe : non le vivant, et notamment Homo sapiens, n’est pas qu’ « un simple processus biochimique ». N’ont-ils rien appris de Piaget, de Merleau Ponty , entre autres,  pour ne pas reconnaître les profondeurs de la nature humaine et des processus d’apprentissage de l’enfant : il y a , de fait, des modes de communication entre les hommes qui font « grandir en humanité » et qui échappent à la biochimie et au numérique; encore faut-il en avoir conscience et travailler à les développer.

Sans doute, pour éviter les pièges devant lesquels nous nous trouvons, il faut pour Homo Sapiens un surcroît de sagesse, acceptant d’être lucide sur sa rapacité et sa cruauté et qu’il travaille effectivement sur lui-même pour maîtriser ses instincts, qu’il développe un regard respectueux et fraternel sur l’ensemble du vivant, aujourd’hui sérieusement atteint.

Sans doute aussi faut-il se méfier de ceux qui, dans la Silicon Valley et ailleurs, prétendent conduire le monde, ne sachant pas eux-mêmes où ils vont…

  1. Antoine Héron, 22 avril 2020

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Prophète athée, végane…

Qui est Yuval Noah Harari, « le penseur le plus important du monde » d’après Le Point ?

(sources : 20 Minutes, avril 2018, lors de la sortie des 21 leçons pour le 21ème siècle)

Comment le maître de conférences diplômé d’Oxford est-il devenu ce phénomène aux ventes vertigineuses ? Rien ne prédestinait Harari, né en 1976 à Haïfa, en Israël, à connaître un tel succès, surtout quand on regarde ses premiers écrits passés complètement inaperçus.

Tout est parti d’un simple MOOC [formation en ligne ouverte à tous]. « Un jour, des étudiants de son université ont réclamé un cours général sur l’histoire de l’humanité. Les professeurs les plus réputés ont tous décliné et finalement le « junior » Harari, spécialiste d’histoire médiévale et d’histoire militaire s’est porté volontaire », racontait Anne Michel, son éditrice chez Albin Michel, à L’Expressen 2017, à l’heure de la sortie française de son deuxième succès en librairie, Homo Deus. Tandis que ce cours prend de l’ampleur, l’historien a l’idée brillante d’en faire un livre. Résultat : 12 millions d’exemplaires vendus dans le monde pour ses deux premiers best-sellers, 45 traductions…

Crâne rasé, sourire en coin, Yuval Noah Harari, jeune maître de conférences de 42 ans à l’Université hébraïque de Jérusalem, n’a rien, a priori, de l’image du prophète qu’on se fait. Il est pourtant l’un des historiens les plus lus de sa génération. Dans son fan-club, on compte Barack Obama qui avait recommandé cette « histoire de l’humanité vue du ciel », Mark Zuckerberg qui l’avait sélectionné dans son club de lecture, Ridley Scott​ qui va adapter Sapiens sur grand écran, Hubert Védrine… The Economist en parle comme du premier « vrai intellectuel global du XXIe siècle » et, en septembre dernier, The New York Times a engagé Bill Gates, le fondateur de Microsoft, comme journaliste pour écrire un long article sur 21 leçons. Les grands de ce monde ne parlent que de lui… C’est à se demander si on n’en ferait pas un peu trop.

Un penseur du futur sans smartphone

Penseur singulier, Yuval Noah Harari semble bourré de paradoxes. Il dessine un futur, dans Homo Deus, où le dataïsme se substituerait aux anciennes religions, mais il ne possède pas de smartphone. « Les gens vraiment importants n’ont pas de smartphone. Il en faut un quand on travaille pour quelqu’un », explique-t-il au MondeSelon lui, les monothéismes n’ont plus rien à nous apprendre sur nos vies, mais il ne cache pas sa passion pour la méditation Vipassana -il médite deux heures par jour et part régulièrement en retraite. Végan depuis Sapiens, il mène une vie austère dans une coopérative agricole avec son compagnon Itzik, qu’il a épousé au Canada, le mariage homosexuel n’étant pas reconnu en Israël.

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